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L’anarcho-communisme vulgaire : Pacificateur de l’anti-étatisme
Par Spooky , 26 / 06 / 2020.
Les positions radicales sont toujours difficiles à défendre. Dans une large mesure, c’est un aspect inhérent à la promotion de tout système alternatif d’organisation sociale, qui ne se contente pas de proposer des réformes et des “solutions bipartites”. Certains, peut-être trop nombreux, ont tenté d’atténuer les contours de leurs étiquettes politiques en enveloppant leur idéologie dans un langage plus large, en utilisant une rhétorique du “bon sens” et en réduisant leurs points de vue à des définitions simples mais incomplètes. L’un des exemples les plus réussis est la définition de l’anarchisme de Noam Chomsky comme “l’opposition à des hiérarchies injustifiées”. Cela a convaincu de nombreuses personnes qui, autrement, n’auraient peut-être jamais étudié ses idées, moi y compris.
Cependant, en s’accrochant à une définition aussi modérée, certaines personnes ont effectivement créé une branche distincte de la pensée libertaire qu’ils décrivent comme “anarchisme”, bien que leur vision de l’anti-étatisme soit notablement distincte. Comme Kevin Carson l’a fait pour le “libertarianisme vulgaire” [1], je trouve approprié de considérer ces personnes comme des anarcho-communistes vuglaires (ou des ancoms vulgaires en abrégé) ; ils représentent une forme de gauchisme qui se concentre davantage sur des conceptions larges de “l’égalité” et de la propriété collective plutôt que sur les implications de l’anti-étatisme.
Le problème le plus important avec cette position est l’insistance sur le lien entre l’anarchisme et une définition monolithique de la “démocratie”, impliquant une certaine forme de consensus universel ou de système décisionnel majoritaire qui concerne chaque membre d’une communauté ou d’un réseau donné. Certains adhérents plaident pour un système de représentation[2] impliquant des “délégués” qui négocient, votent et interagissent avec d’autres communautés dans une sorte de congrès intercommunautaire. Ce système, pour une quantité inquiétante d’anarchistes autoproclamés, n’est pas du tout considéré comme une hiérarchie ou est en quelque sorte justifié en raison de sa nature “démocratique”.
Ce principe est significatif au point que l’anarcho-communisme vulgaire pourrait être adéquatement décrit comme un type de minarchisme ou de communisme des conseils. Bien que ce ne soit pas une mauvaise chose en soi, la question est de savoir comment les adeptes de cette tendance transforment la définition de l’État en un État presque invisible. Les ancoms vulgaires font souvent marche arrière dans leur opposition à l’État, en précisant qu’ils ne s’opposent pas au “gouvernement”, mais seulement à “l’État”, qu’ils définissent généralement par les pires secteurs des États-nations existants – la police, l’armée, les politiciens, etc.
Ils proposent souvent que les conseils ouvriers, les communes ou une forme quelconque de gouvernement municipal local soient la principale unité d’organisation dans une société post-capitaliste. Les flics n’existeraient pas, disent-ils, car sans État, il n’y aurait pas de “police” au sens actuel du terme. Au lieu de cela, affirment-ils, la défense serait assurée par une équipe d’autodéfense communautaire volontaire qui peut être rappelée par la communauté à tout moment au cas où ses services ne seraient plus satisfaisants. Les modalités d’organisation de ces institutions sont très variables – certaines impliquent la rotation du personnel des membres de la commune et d’autres un groupe fixe de bénévoles – mais elles sont presque toujours décrites comme étant “gérées démocratiquement” dans un certain sens.
La série de cinq épisodes d’Emerican Johnson “Comment l’anarchisme fonctionnerait réellement ?”[3] illustre parfaitement cette vision particulière de l’“anarchisme”. Bien que je ne prétende pas que tous les anarcho-communistes souscrivent à la vision particulière de l’anarchisme de Johnson, les concepts abordés dans la série sont des exemples probants de certaines perspectives de “l’ancom vulgaire”.
« Tout être humain dans une société anarchiste aura le droit de voir tous ses besoins matériels satisfaits. Nourriture, vêtements, logement, électricité, eau courante, internet et soins de santé, etc. En échange de la satisfaction de leurs besoins, les individus doivent accepter une contribution raisonnable à la commune. Il est important de noter que ce qui constitue une contribution raisonnable varie d’un individu à l’autre… Dans l’idéal, pour la plupart des gens, cela correspondrait à une semaine de travail de 15 à 20 heures qui inclurait le travail effectué pour la commune. »
Comme je l’ai déjà dit, cela ressemble plus au communisme des conseils qu’à une société sans État. Les semaines de travail et les “contributions raisonnables” de travail ne semblent pas du tout être des conditions souhaitables, quelle que soit la manière dont une décision est prise. La démocratie, pour les anarcho-communistes vuglaires, est un moyen qui justifie la plupart des fins ; si le peuple vote pour un système d’organisation temporaire, alors il a une légitimité. C’est scandaleusement similaire aux moyens utilisés par les libertariens de droite pour justifier des contrats de travail “volontaires” qu’ils pourraient autrement considérer comme coercitifs, en remplaçant la logique du marché par la logique du processus démocratique. Dans certains cas, dont celui de Johnson, ce moyen est utilisé pour tenter de justifier les centres de rééducation “anarchiques”[4].
« … la criminalité dans une société anarchiste serait considérée comme “traitable”, un problème social qui serait corrigé par des mesures de réhabilitation adaptées à la situation de chaque individu… La plupart des crimes seraient traités par le biais de conseils, d’éducation et d’autres interventions communautaires destinées à guérir l’individu et la communauté. Si le comportement préjudiciable d’un individu ne découle pas seulement de problèmes sociaux mais aussi d’un état biologique ou neurologique, il sera alors interné dans un hôpital pour “circonstances exceptionnelles”, qui répondra spécifiquement à ses besoins… »
En présentant ces extraits de l’œuvre de Johnson, mon but est de montrer où peut mener une tel regard myope sur la démocratie et les relations économiques communistes. Ces tendances anarcho-communistes vulgaires semblent être populaires dans les milieux radicaux et anticapitalistes, et fait beaucoup penser que c’est la forme prédominante du socialisme libertaire. Cela est dû en partie aux tactiques utilisées par Chomsky et Johnson, qui pacifient les prémisses de l’idéologie afin d’attirer des spectateurs modérés. Si l’appel à la démocratie et à l’anticapitalisme semble avoir fonctionné comme stratégie de relations publiques, le manque d’accent mis sur l’anti-étatisme, l’autonomie individuelle et le rejet systématique de toutes les hiérarchies a entraîné une grande confusion sur ce que veulent réellement les anarchistes.
Les tentatives de pacification de l’anti-étatisme impliquent souvent de s’adresser aux modérés qui insistent sur le fait que nous avons besoin de certaines réponses sur la façon dont l’infrastructure post-capitaliste fonctionnera. Malheureusement, cela a conduit beaucoup d’entre eux à se consacrer à l’élaboration de plans détaillés d’un Monde Anarcho-Communiste plutôt qu’à l’exploration complète des implications de l’anti-étatisme. Le fait que nous n’ayons pas toutes les réponses à la question de savoir comment les routes seront construites ou comment les jeux vidéo seront réalisés n’est pas nécessairement une faiblesse. Les plus grandes forces d’une société sans État résident dans sa décentralisation totale, car l’expérimentation de nombreux types d’institutions sociales et d’arrangements économiques différents est rendue possible en l’absence de mandats gouvernementaux qui soutiennent des systèmes monolithiques. L’anarcho-communisme vulgaire ignore complètement ce potentiel au profit d’un modèle qui prétend profiter à tous, malgré l’impossibilité absolue de tenir une telle promesse.
Nous n’avons pas besoin de diluer nos idéaux pour gagner les faveurs des modérés.