Aux compagnons et aux compagnonnes anarchistes. Quelques réflexions générales depuis la prison.

https://nantes.indymedia.org/articles/51442

Nous, anarchistes enfermés dans la section AS2 (Haute sécurité 2) de la prison de Terni, voulons partager avec vous les réflexions qui nous ont amenés à commencer cette petite forme de proposition/protestation (une grève de la gamelle de la durée de deux semaines, du 19 octobre au 1er novembre). Elle vient de la volonté de dépasser les conditions d’isolement et de résignation où l’État voudrait nous cantonner, en tant que prisonnier.e.s subversif.ve.s. En effet, nous voulons continuer à nous sentir partie du conflit en cours, en participant à la lutte et au débat, avec des réflexions et des propositions, conscient.e.s de nos limites parce que emprisonnés.

Nous pensons que cela est particulièrement important dans un moment où l’on voit une augmentation des tentatives, de la part de la répression, de frapper la solidarité anarchiste.

Nous avons vu les opérations préventives « Ritrovo » et « Bialystok », qui essayent de démanteler des réalités qui, depuis longtemps, poursuivent des parcours de solidarité avec des individualités et des détenu.e.s, en revendiquant leurs positions anarchistes.

Il nous semble particulièrement inquiétant que, avec l’opération de Rome [l’opération Bialystok ; NdAtt.], il y a la volonté de frapper les pratiques de solidarité avec un compagnon anarchiste emprisonné, pour soutenir sa réaction face à l’agression subie de la part des matons et sa lutte pour être transféré. Celle-ci est une attaque à toutes les personnes qui luttent à l’intérieur des prison et qui reçoivent de la solidarité et du soutien depuis l’extérieur. Un message non négligeable, sur lequel à notre avis il convient de réfléchir.

Ces derniers temps, on a vu des prisonnier.e.s anarchistes écoper de décennies de taule, on a vu plusieurs personnes être soumises à des mesures de contrôle judiciaire pour avoir manifesté dans la rue en solidarité, on a vu la façon dont l’État a voulu punir un anarchiste pour son soutien supposé à un anarchiste en cavale.

De cette façon, par des plaintes, des mesures restrictives, des perquisitions et des arrestations, ils essayent de décourager et de supprimer des pratiques de solidarité active qui sont le patrimoine de l’anarchisme et qu’il nous semble important de revendiquer et d’essayer de renforcer, aujourd’hui plus que jamais. De plus, nous voulons encourager et développer une discussion sur les possibilités de lutte que l’on a, en tant que et entre individualités anarchistes emprisonnées et avec toute personne qui veuille nous soutenir.

Une grosse partie de cette envie vient des réflexions issue de l’observation de cette dernière période de changements politiques, économiques et sociaux, et de la manière dont ces derniers ont influencé la situation dans les prisons. Les nombreuses révoltes qui ont éclaté dans les prisons pendant l’urgence Covid-19, à cause des conditions de détention, en provoquant 14 morts en Italie, ont révélé une situation à laquelle nous sommes incapables de faire face, mis à part sous la forme de soutien, mais sans une projectualité claire de lutte anarchiste. C’est de façon auto-critique que nous parlons de ce manque, sur lequel nous aimerions réfléchir, pour d’y remédier.

Nous pensons ensuite au caractère préventif et punitif de la dispersion à laquelle sont soumises les compagnonnes, dispersées parmi différentes sections AS3 [les sections de haute sécurité où sont enfermé.e.s les personnes inculpées ou condamnées pour des délits liés aux différentes mafias ; NdAtt.], ou les compas enfermés dans des sections pour prisonniers protégés, dans des petits sections d’isolement ou soumis au régime 14bis à cause de leur attitude révoltée au sein de la prison. Il y a des prisonniers qui avaient demandé du soutien, lors de moments de difficulté, et nous n’avons pas honte de dire que, en tant qu’anarchistes, nous nous sentons terriblement fautifs, car nous n’avons pas su trouver les instruments pour les soutenir quand c’était nécessaire.

Nous pensons que la but principal de la prison est de nous éloigner de nos contextes de lutte, de nos relations et de nous fragmenter, en tant qu’anarchistes et révolutionnaires, de façon à isoler et à affaiblir nos aspirations de lutte et nos individualités en révolte. Nous pensons qu’un bon moyen pour nous retrouver et pour redécouvrir nos capacités de conflit pourrait être d’unir nos forces pour soutenir tour à tour des instances spécifiques, en y intégrant un regard général de critique au système de domination étatique-capitaliste.

Notre objectif immédiat est de trouver des méthodes, même simples, pour commencer à nous opposer au morcellement de nos situations individuelles, tant à un niveau juridique qu’au niveau de la détention. Nous reconnaissons le fait que nos situations individuelles ne sont rien d’autre que l’expression structurelle d’un système punitif visant à annihiler les individualités qui restent réfractaires à tout ordre constitué ; nous reconnaissons donc la nécessité d’une convergence des différentes propositions et situations de lutte contre la prison, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Nous commençons par considérer et par reconnaître que nous faisons face à des formes de détention différentes et que nous ne vivons pas tou.te.s les mêmes conditions de détention, que nous ne partageons pas tou.te.s les mêmes analyses et positions, tactiques et stratégiques. A cause de cela, nous proposons que ce débat continue, par l’échange de réflexions et de propositions, de façon multiforme, dans le but d’enrichir et de développer la lutte et voir grandir le mouvement anarchiste.

 

Pour écrire aux deux compagnons :

Juan Antonio Sorroche Fernandez
Nico Aurigemma
Casa Circondariale di Terni
Strada delle Campore, 32
05100 – Terni (Italie)

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