Contra Info / mercredi 28 juillet 2021
Face à ce que nous considérons comme des sommations à notre encontre*, nous ressentons la nécessité d’écrire ce texte, afin de clarifier certaines questions.
Comme nous l’avons écrit à plusieurs occasions, individuellement et collectivement, nous entendons l’anarchie non pas comme une réalisation ou un point d’arrivée, mais comme une tension, une confrontation permanente qui se fait à la première personne, en plaçant au centre la recherche de la liberté individuelle.
Pour nous, cette lutte constante a été réelle, nous l’avons menée dans les faits, sans interruption, raisons pour laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui derrière les barreaux. Une situation, celle-ci, qui est ponctuelle et circonstancielle et qui ne nous a pas empêché de continuer à construire des initiatives de lutte ou y participer, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison.
Au fond, pour nous l’anarchie est une éthique et une pratique permanente contre l’autorité, une pratique par laquelle nous avons rencontré d’autres personnes (pas nécessairement des « anarchistes »), ce qui a enrichit et amélioré nos perspectives et nos capacités et qui a forgé des relations étroites de complicité, renforcées au fil des années et des luttes. Affirmer que ces relations n’ont lieu ou ne peuvent avoir lieu qu’avec ceux/celles qui se disent « anarchistes », en plus d’être une mensonge (comme il peuvent le démontrer seulement celles/ceux qui se sont aventuré.e.s sur les chemins du conflit et non ceux/celles qui pensent les fouler, dans leurs rêveries devant à un ordinateur) est quelque chose que nous rejetons, à partir du moment où nous privilégions l’établissement de liens fondés sur des pratiques communes plutôt que sur des étiquettes vides ou des slogans répétés ad nauseam. S’autoproclamer rageusement « anarchistes irréductibles » ne signifie rien, si cela n’est pas accompagné par une pratique de lutte qui le justifie. Sur du papier ont peut tout écrire.
D’autre part – et surtout – le fait de présupposer que les anarchistes ne devraient avoir des relations qu’avec des anarchistes reflète un purisme absurde et un sectarisme qui, sans aucun doute, sont une expression d’autoritarisme. Établir des coordinations et faire des initiatives communes de lutte uniquement parmi ceux/celles qui se définissent comme « anarchistes » signifie restreindre et limiter considérablement nos relations et donc nos possibilités de croissance. Cela signifie s’enfermer stupidement dans des dogmatismes qui nous limitent et qui nous empêchent de nous associer librement. De cette manière, nous voyons que, au nom de la liberté, certain.e.s proposent carrément son contraire, en fondant des sectes sur la base d’étiquettes.
Par là, nous ne voulons pas dire que nous nouons des relations de façon indiscriminée ou que nous n’avons aucune sorte de filtre.
Dans des communiqués précédents, nous avons clairement indiqué les points qui sont pour nous infranchissables : les repentirs, les dissociations et le recours aux institutions correspondent à des lignes rouges et ils constituent des aspects insurmontables qui empêchent de mener toute initiative commune avec ceux/celles qui choisissent des telles voies. Comme on peut le voir, ces points ne correspondent pas à des étiquettes vides, mais à des pratiques concrètes, à des manières de vivre la prison et pas seulement cette dernière. A notre avis, les sommations qui ont été faites ne font que détruire d’un seul coup tout notre discours et tout notre travail, en créant une contradiction totale entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Eh bien, peut-être que pour certain.e.s ce qui compte ou qui aurait de la valeur est seulement ce que l’on dit ou alors les proclamations incendiaires sur internet ou sur les réseaux sociaux. Au contraire, nous donnons la priorité à la pratique et c’est à partir de là que nous établissons des affinités et des ruptures.
Et évidemment les pratiques autoritaires sont un point sur lequel nous ne ferons pas de compromis. Nous n’avons jamais établi des relations de lutte sur la base de l’autoritarisme et l’expérience des prisonnier.e.s anarchistes et subversif.ve.s ne fait pas exception. Les points en communs que nous avons, entre nous tou.te.s, sont beaucoup plus forts que les divergences que nous pouvons avoir, des divergences qui ne représentent évidemment pas des aspects insurmontables, sinon nous deux nous serions retirés de cette initiative dès le début. Les liens qui nous unissent à nos compagnons ont été forgés dans la lutte à l’intérieur et à l’extérieur de la prison, depuis plus d’une décennie, ce qui a signifié pour nous une relation et une expérience enrichissantes, qui ont sans aucun doute nourri, renforcé et amélioré notre parcours anarchiste. Aujourd’hui, dans cette nouvelle situation d’enfermement, nous avons renforcé encore plus ces liens, ce qui s’est traduit par cette initiative commune, qui n’est pas nouvelle, mais qui, cette dernière année, a vu des mobilisations importantes qui nous permettent d’élaborer des projets intéressants.
Or, comme nous l’affirmions dans l’article « Sur la nécessité de poursuivre la lutte à l’intérieur de la prison… », dans le quatrième numéro de la revue Kalinov Most, nous, les anarchistes, avons brisé certains codes internes aux prisons, des codes qui avaient été établis et reproduits, depuis les années 1980, par les membres des groupes armés de gauche ; des codes qui avaient principalement à voir avec la reproduction, à l’intérieur de la prison, de la logique d’organisation/de parti et aussi avec le fait d’établir une relation de supériorité vis-à-vis du reste de la population carcérale.
Ça va sans dire que nos compagnons sont lointains de ces codes et s’y opposent – cela dans la complexité de la pratique à l’intérieur de la prison, non par un discours confortable fait depuis une maison avec une connexion internet. Ils se sont chargés de maintenir en vie des codes subversifs auxquels nous nous identifions et qu’il nous semble indispensable de concrétiser et de reproduire.
Nous parlons ici d’une position et d’une attitude réfractaire vis-à-vis de l’institution carcérale, ce qui confère une identité particulière, vue et reconnue à la fois par les prisonnier.e.s sociaux.les et par les maton.ne.s. Nous parlons également du fait indéniable de continuer la lutte à l’intérieur de la prison, pour démontrer en pratique que rien ne s’arrête avec l’enfermement, qu’il s’agit simplement d’un autre champ de bataille ; il y a là quelque chose qui rompt avec la victimisation et l’assistanat souvent présents dans la lutte pour la libération des prisonnier.e.s.
Pendant des décennies, les compagnons ont construit et fait avancer une pratique anti-carcérale qui a dépassé les murs, une pratique dont nous faisions partie en étant dans la rue et dont nous faisons partie aujourd’hui en prison. Ce ne sont là que quelques-uns des codes subversifs que nous partageons avec nos compagnons, ce qui renforce nos liens d’affinité dans notre travail quotidien et nous éloigne de ceux/celles qui, même en se disant anarchistes, choisissent des voies distantes de la lutte ou s’en dissocient complètement. Que disent les puristes de ceux/celles qui se proclament « anarchistes » mais prennent complètement les distances de leurs idées et pratiques, lorsqu’elles/ils passent en jugement ou sont emprisonné.e.s ? Peut-être se sentent-ils/elles plus en affinité avec ces dernier.e.s, du moment qu’elles/ils donnent la priorité à une étiquette vide. Encore une fois, nous construisons des relations sur la base de pratiques communes et non sur la base de mots ou de communiqués incendiaires publiés sur internet.
Enfin, nous voyons la nécessité de mentionner le danger représenté par le sectarisme ou le purisme dans nos milieux ; ils portent – en plus des relations autoritaires mentionnées plus haut – à des attitudes d’auto-complaisance qui ne font que nous faire stagner, au lieu d’approfondir ou d’améliorer la lutte.
À partir de notre position clairement anarchiste, fondée sur le conflit permanent et la liberté individuelle, nous allons établir des relations et des coordinations qui nous renforceront et nous rendront plus sûr.e.s de nous, dans ce chemin vers la libération totale.
Comme il l’ont dit il y a quelques années les compas emprisonné.e.s de la Conspiration des Cellules de Feu :
Solidarité avec les prisonnier.e.s anarchistes et les irréductibles de toutes les tendances révolutionnaires !
Aujourd’hui nous disons :
Liberté pour les compagnons Pablo Bahamondes, Marcelo Villarroel, Juan Aliste, Juan Flores et Joaquín García !
Mónica Caballero Sepúlveda
C.P.F San Miguel
Francisco Solar Domínguez
C.P. Rancagua