Il y a quelques jours, PMA, extrait du bulletin anarchiste Avis De Tempête.

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| Il y a quelques jours |

Réflexion sur la PMA,entre autres,

Extrait du bulletin anarchiste Avis De Tempête


Il y a quelques jours, me promenant dans une ville du Sud de la France où le soleil brille presque toujours et tend ainsi à camoufler, quelque peu, l’atroce processus qui, ici comme ailleurs, transforme les êtres humains en déchets (superflus, abîmés, toxiques) à un rythme vertigineux, cette ville où les taudis qui logent les pauvres s’écroulent et où le trafic de drogues, les arnaques immobilières, l’exploitation féroce des « clandestins » est aux commandes, dans cette meilleure ville du monde je me promenais donc.

Je tourne à un coin de rue, et là, devant moi, en lettres rouges, était peint un slogan… « PMA pour toutes ».

Je continue ma route, je tourne un autre coin, et le revoilà, le même slogan : « PMA pour toutes ! ».

Avec un point d’exclamation maintenant.

Et là, je me rappelle ces manifestations de réactionnaires à Paris pour s’opposer à ce que des homosexuels et des lesbiennes puissent se marier, le « la famille = un père + une mère » et autres calamités rétrogrades.

Les manifestants s’étaient même affrontés avec celles et ceux venus les contester, voire avec les forces de l’ordre.

Là déjà, ça parlait de la PMA, réservée exclusivement aux couples hétérosexuels.

De retour à la maison, je feuillette quelques livres pour en savoir plus.

En fait, la Procréation Médicale-ment Assistée, c’est la dénomination pour les techniques médicales consistant à manipuler spermatozoïdes et/ou ovules pour aboutir à une fécondation.

En gros, il y en a deux : c’est l’insémination artificielle intra-utérine (du sperme préalablement traité en laboratoire est inséminé dans l’utérus par le médecin) et la fécondation in vitro (l’ovocyte et le spermatozoïde se fécondent dans une éprouvette, les embryons sont en-suite implantés dans l’utérus d’une femme).

Une troisième technique, qui est toujours en développement et activement expérimentée sur des animaux, c’est celle de « l’utérus artificiel » : la croissance d’un embryon ou d’un fœtus en dehors du corps humain.

Pour avoir une idée de l’ampleur de ces pratiques médicales : en France, en 2014, il y a eu 142 000 PMA donnant lieu à environ 25 000 naissances (sur 820 000 naissances, soit 3 % de toutes les naissances).

Et selon les statistiques et études sur le sujet de la fertilité, ces chiffres vont partir spectaculairement à la hausse dans les années qui viennent.

En gros, les nuisances en tout genre ont fortement dégradé la fertilité en Occident.

L’empoisonnement de l’environnement par les exploitations industrielles, l’exposition prolongée aux ondes et aux perturbateurs endocriniens comme certains pesticides ou d’autres substances toxiques telles que l’arsenic, le plomb, l’aluminium, le mercure, les parabènes, le bisphénol A, la toxicité toujours plus élevée des produits alimentaires de l’agro-industrie, l’empoisonnement de l’eau par des résidus chimiques (comme les traces de drogues et de médicaments), tout participe à une certaine « stérilisation » de la vie (plantes, animaux, êtres humains).

Rajoutons à cela encore un grand nombre de syndromes qu’on pourrait qualifier de particulièrement modernes tels que le stress, la dé-pression, le burn out, qui viennent influencer autant la fertilité que la natalité, de pair avec des habitudes modifiées (comme le fait d’attendre « plus longtemps » avant de se décider d’avoir un enfant, lié par exemple à un objectif de « carrière »).

Par conséquent, les investissements ont été et sont toujours plus massifs dans les biotechnologies qui traitent ce fameux « problème de la fertilité ».

Bien des combats ont été livrés pour essayer de briser l’injonction à la procréation, réduisant et confirmant les femmes à un rôle de « machines à enfanter » pour grossir les rangs des légions militaires et industrielles de la Patrie en expansion.

A la fin du siècle dernier, les anarchistes ont été parmi les premières à organiser la contre-information sur la contraception, à combattre le mythe qu’une femme ne se réalise qu’en devenant mère, à diffuser des méthodes de contraception, d’avortement ou de vasectomie.

Ces démarches valurent à de nombreuses anarchistes de lourdes peines de prison, une forte stigmatisation sociale, parfois même la mort.

Mais elles et ils persistèrent, se battant pour une sexualité libérée de son corollaire de procréation, pour une vie où avoir des enfants relèverait avant tout d’un choix individuel, et non d’une obligation sociale, pour un amour libre où les rapports ne seraient réglés par aucune loi, ni profane ni céleste, mais par les individus eux-mêmes, dans la réciprocité et la confiance.

Bien sûr, beaucoup de conneries ont aussi été répandues par des anarchistes, avec par exemple leur obsession pour une approche scientifique néomalthusienne de la procréation, où l’on finit par inventer d’autres codes et lois à respecter, et par instaurer un contrôle – allant au-delà des individus concernées – sur la natalité dans la société ou la commune libre.

Plus tard, dans des combats aussi vastes, d’autres pièges sont apparus.

Face à une colère sociale au bord de l’explosion révolutionnaire, la domination a réussi à restaurer l’ordre en se restructurant aussi – donc pas seulement – grâce à une certaine libéralisation des mœurs.

C’était un cadeau empoisonné, comme maintes combattantes de la première heure ont dû le constater amèrement une décennie plus tard.

Car « libéralisation » ne signifie pas pour autant

« libération », qui était pourtant le désir subversif qui animait ces combats.

Une libération des brides morales, une émancipation des modèles patriarcaux de la famille (notamment adultes/enfants) et des rapports entre hommes et femmes, une libération des chaînes qui rivaient les femmes dans des rôles d’esclavage.

Bien sûr, et contrairement à ce que prétend un certain « antiféminisme », le fait que le mouvement subversif contre le patriarcat des années 70 ait été « récupéré » et « intégré » pour venir à la rescousse de la restructuration de la domination, n’enlève rien à la justesse des combats, ni aux désirs subversifs qui en ont été à la base.

Et il convient de souligner que la récupération n’intervient qu’après avoir neutralisé les élans révolutionnaires par la répression sous toutes ses formes (judiciaire, policière, sociétale, économique).

Tout comme le projet révolutionnaire anticapitaliste de « l’autogestion » de la production, plus ou moins commun à tous les courants révolutionnaires, a été recyclé, récupéré et intégré – jusqu’à un certain point – dans la production réorganisée (avec des ouvriers qui « auto-gèrent » une bonne partie de la chaîne de production, avec la prolifération de petites entreprises organisées de façon assez horizontales, etc.), le projet révolutionnaire anti-patriarcal des années 70 a été désamorcé de sa charge destructrice et libératrice pour se voir caricaturé aujourd’hui par des slogans hypocrites dans quasi toutes les grandes boîtes du monde entier et dans la bouche de tous les politiciens et politiciennes.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y a plus de patriarcat, ou que ces entre-prises qui se vantent de l’attention qu’elles portent au genre sont les phares de la lutte anti-patriarcale, ni que les politiciens qui prêchent l’antiracisme ne sont pas imbibés de racisme.

Ce qu’il s’agit de saisir, c’est comment la restructuration de la domination peut se servir de projets subversifs désamorcés – et comment elle le fait d’une manière flagrante.

Pour en revenir au slogan que j’avais vu, c’est un exemple interpellant ce que qui est mis en question ci-dessus.

Dans la logique des choses, il est tout à fait correct de revendiquer la PMA pour toutes.

Pourquoi seuls les couples hétéros devraient-t-ils y avoir accès ?

Parce que « la famille = père + mère », ce slogan imbécile qui ne prend même pas en compte la réalité, où de très nombreux enfants grandissent dans des milieux qui ne sont pas caractérisés par ce schéma de famille nucléaire ?

Non, PMA pour toutes, c’est une revendication égalitariste, combattant la hiérarchie normée de la société.

Cependant, on ne peut que remarquer que l’accès des femmes à des fonctions répressives a aussi été présenté comme une réalisation égalitariste, car pourquoi certains métiers devraient-ils être réservés aux hommes ?

L’armée, institution patriarcale par excellence, ne reste d’ailleurs pas en reste sur la restructuration : en France, elle a même mené une campagne de recrutement ciblant les personnes « transgenre », car c’est bien connu, « l’armée de Terre condamne toutes les formes de discrimination. »

Ou encore, pourquoi la pression sociale et patriarcale qui conduit tant de femmes à suivre les diktats de la mode et à reproduire les modèles en vogue ne pourrait pas aussi s’exercer sous la forme de religions menant à la croix, au foulard, aux tilaks etc. ?

Vive l’égalitarisme dans l’aliénation !

Certainement aveuglés par une certaine logique de l’égalité en droits à laquelle cette société voudrait nous confiner, on oublie qu’il ne s’agit en réalité que de fausses manières de poser les problèmes.

Bien sûr que la domination a tout intérêt à accentuer son contrôle sur la natalité, par exemple et entre autres par la généralisation de la PMA.

Tout Etat, tout pouvoir, a toujours voulu contrôler le plus possible la croissance de la population sous son joug. Les mécanismes employés n’ont d’ailleurs jamais été univoques.

En Chine, où le pouvoir a longtemps misé sur la politique nataliste d’un enfant par « couple », les méthodes contraceptives et le recours à l’avortement sont bien répandus et fortement encouragés.

Ailleurs, elles sont limitées, interdites ou découragées, pour stimuler la croissance de la population ou en conséquence de préjugés religieux ou idéologiques.

Et les deux peuvent même cohabiter, comme dans les États occidentaux qui promouvaient la contraception (voire des stérilisations forcées) dans les pays pauvres tout en rendant l’avortement difficile ou impossible sur leur sol.

Les résultats n’ont pas toujours été ceux es-

comptés et restent souvent très contradictoires, car d’une certaine façon, pour procréer ou pas, des individus parviennent à contourner ou à échapper aux règles qu’une autorité cherche à leur imposer.

En tout cas, dans les mains de l’État, tout devient un instrument d’oppression.

L’avorte-ment organisé par un État ne ressemble en rien à l’avortement auto-organisé par des individus : ni les buts ni les perspectives ne sont les mêmes.

L’autogestion organisée par un groupe industriel pour accroître la flexibilité et l’autonomie des îlots de production ne ressemble en rien à l’autogestion de l’agriculture organisée par une

« commune libre d’individus ».

La liberté dont parle l’État n’est pas la liberté dont parlent les ennemis de l’autorité.

La PMA n’est, en fin de compte, qu’une énième conséquence de la société industrielle – et patriarcale (sauf si l’on croit que le pouvoir médical ne suit pas les schémas patriarcaux).

À la stérilisation de la vie (qui soit dit en passant est bien autre chose que le choix individuel de se stériliser pour ne jamais avoir d’enfants) induite par l’empoisonnement et par l’intoxication de nos environnements, vient bien sûr répondre une solution« technicienne » mise au point par les biotechnologies.

Cela n’a rien à voir avec un quelconque processus de libération.

Il suffit de se souvenir – même si le temps s’accélère toujours plus et qu’on a tendance à perdre tout repère historique – que dans le « passé » (et encore aujourd’hui), le souhait d’avoir un enfant se réalisait aussi au-delà des limites du couple traditionnel avec l’aide d’amies et d’amis ou de connaissances, et pas forcément en passant par des rapports sexuels ou des blouses blanches.

Car, en fin de compte, si les mystères de la nature sont vastes, il est certaines choses que l’on peut tout-de même comprendre – et sans « tordre la queue du lion », comme Francis Bacon qualifiait la manière de procéder pour forcer la nature à livrer ses secrets. Dans les années qui viennent, l’artificialisation de la pro-création ne cessera de se poser.

Mieux vaut donc continuer à y réfléchir, ce qui pourrait nous éviter de nous appro-prier les faux termes d’un faux débat.

Le fond reste toujours le même : jusqu’à quel point allons-nous permettre au pouvoir, quels que soient les habits sous lesquels il se présente, d’organiser et de contrôler tous les aspects de nos vies ?

Quand et comment décidons-nous de ne plus abdiquer notre individualité, de refuser de marcher,quel que soit le prétexte,vers un monde éminemment technicien ?

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